Émailleur

 

Bernard Gonnet

Léger ; grave, vaporeux, précis ... et résolument feu !

Le travail de Bernard Gonnet a ceci d'original qu'il entretient un bel équilibre entre le métal et l'émail, dans un dialogue soutenu et rigoureux avec le feu qui scelle le tout. Délicat équilibre dans un jeu de transparence, de mondes en fusion sur des fonds vaporeux, oniriques qui dans une douceur suspendue suggèrent un sol libre, ouvert sur lequel surgit une feuille, un insecte, une silhouette, un fruit, dans un contraste saisissant d'ors ou d'opaques aux couleurs vives.

Ondes, chocs, enlacements ... un monde organique ciselé dans la vivacité du métal et la transparence de l'émail. Dans une pudique narration, Bernard nous livre son quotidien, en bribes, en éclats tendres ... Il se risque, prend des risques ... ici il précise, là il effleure, avance, explore au milieu des possibles, soucieux de donner aux objets leur tonalité propre dans une rigueur extrême ... il nous offre ses histoires dans un jeu délicat d'ombres et de lumières, en empreintes, traces, fragments tantôt précis, tantôt énigmatiques ... là il nous ouvre son verger, plein de saveurs et de poésie, là au détour d'un paysage ou d'un visage il nous entraine dans ses questionnements ...

Bernard avance en ellipses, en mouvements circulaires toujours en expension... de grattages en saupoudrages, en rajouts d'or, dans l'amplitude du geste, sans rythmes imposés. Il fait surgir de l'espace des sphères latentes et précises, des gestations, de mystérieuses éclosions... éléments en suspension qui flottent dans l'air, dans l'eau ou dans le feu... Bernard explore, entre la terre et le cosmos, de toute la force de sa palette.
Des gravures fines où le métal et l'émail jouent de présence et de retrait en une danse subtile au service d'un paysage qui s'affirme dans le regard de celui qui le cherche, l'invite à apparaître ...

Bernard entretient avec les frontières, les limites, les contours une relation en permanence questionnée ... Rien de définitif, de fixe, pas de mouvements brusques, mais des éléments qui s'entremêlent, se côtoient ou s'ignorent dans une prolifique exubérance.

En utilisant les techniques les plus variées, Bernard invente sans retenue, ose les mélanges les plus surprenants dans une solide expérience sans cesse enrichie. De la miniature au vase, de la coupe au luminaire, il soutient la même exigence. Son amour de l'outil, sa maîtrise du processus de création, toujours en retrait, porte l'œuvre à l'excellence...

Œuvre vivante, mouvante, émouvante d'un artiste curieux du monde, de ses arts multiples, de son histoire et soucieux de la nature, de sa beauté, de son avenir.


Léa Sham's, septembre 2008.



Couvrir l'espace
Imprimer le temps
En aveugle éclairé
Engager l'épreuve du feu

La Tôle de cuivre est un miroir réfléchissant, d'un rose orangé éclatant.
Durcie (écrouie), elle résiste. Chauffée à la couleur rouge bigareau, elle se forme et se déforme.
Agissant avec un marteau à la panne gravée d'un motif très simple, je garni sa surface d'une myriade de signes, dans une spire régulière et dynamique. Je fais vibrer cette surface, comme on jette un gallet dans une eau calme.
Après l'émaillage, le feu ouvre les portes à la lumière. Les grains d'émail, secs et rugueux s'unissent. Ils forment une couche homogène, lisse et brillante qui aspire les vibrations et la couleur du métal. A la sortie du four, lentement, la pièce révèle toutes ses nuances. Je dois alors savoir m'arrêter, pour ne pas dissoudre dans la surcharge cette émotion naissante. C'est la clef du partage de l'oeuvre, de sa perception fine et profonde.

Métal

Frappée, la feuille de métal plane s'incurve peu à peu, se recroqueville, comme en souffrance, et devient pour longtemps la gardienne du temps inscrit sur sa surface. Puis le feu de recuisson détend et apaise le métal qui s'apprivoise, dégourdi, reposé.
Le rose brillant éclatant du départ fait place à un mat presque minéral, parsemé de paillettes de lumière.
J'apprécie alors le travail déjà accompli et devant moi, cette forme en attente de l'émail m'interroge et m'enchante.

Émail, Émaillage

Quel sera le signal de départ du décor? La mémoire d'une couleur, un morceau de bristol découpé, un arbre à contre-jour? Je m'agace parfois à chercher une idée trop abstraite, venue d'ailleurs, et tel un plongeur qui s'élance, je saisi mon tamis, une poudre d'émail, je dispose cinq branches de cuivre pour structurer l'espace et je saupoudre ma première couleur. Déjà, un paysage m'apparait. Avec une spatule en acier poli, sur cette plage de sable vierge, je trace des empreintes et en cheminant, celles-ci me guident vers l'élaboration d'une surface libre, complexe et évidente. Je suis spectateur-acteur de ce développement qui m'amène, geste après geste, couche après couche à une forme de cuivre couverte d'émail cru.

Tansparence

J'ai choisi d'utiliser les émaux transparents. Pourquoi?
Ils sont les compagnons de mon jeu créatif. Leur état de poudre dont la couleur n'apparaîtra qu'après cuisson contribue à aiguillonner mon imagination. J'agis en aveugle éclairé comme si la dépose des différentes nuances façonnait un paysage embrumé qui ne révèlera sa vrai nature qu'après le passage au feu, mon allié et mon juge. En fusionnant les grains d'émail, le feu libère leur couleur, il établi le succès ou l'échec de l'architecture présupposée de mon émaillage. Je sors la pèce du four, à 850 degrés, encore rayonnante, rouge orangée et voici l'apparition des harmoniques, des dominantes, du nacré, du mordoré, de l'azur, des gueules, du feu. Je m'empli de cette si belle alliance du métal et du cristal, riche de l'expérience des hommes, de leur sens de l'observation, de leur goût de la découverte pour créer de la beauté et de la joie. Je jubile de voir devant moi cet objet multicolore, appréciant ma part de création dans toute la richesse et la diversité de ses origines.

Origines

Quatre éléments procèdent à la création des émaux sur métal : la terre d'où sont issus métaux et minéraux, l'eau pour laver et purifier le minerai et la poudre de cristal, le feu pour agréger les particules de métal et d'émail, l'air pour attiser le feu. A cela s'ajoute la chimie des composants de l'émail et des oxydes : sable, silex, cristal de roche, os ou algues calcinés, galène, cobalt, manganèse, or, étain, argent, cuivre etc...
Je me sens lié à ce courant qui depuis deux millénaires, de découvertes en découvertes, de recherches en recherches, m'amène à être le dépositaire et l'acteur d'un art unique : l'émail sur métal.

Cuisson

Le métal et l'émail sont nés du feu. Cet élément leur est familier. Sous son action s'opère leur liaisons. L'introduction de la pièce dans le four est un acte très intense où l'on confie (abandonne) au feu une création en devenir qui sortira transformée de l'épreuve. Selon le type de pièce, j'utilise une torche propane, un four électrique ou les deux successivement. La cuisson à la torche est en vision directe et je m'y implique physiquement. Je conduis d'une main le flux de gaz enflammé sous la pièce, je contrôle son débit, l'ajustant à la montée en température. De l'autre main, avec une tige de métal, je fait tourner ma pièce, la présentant à la flamme sous toutes ses faces. Après un court palier au rouge-orangé, j'éteins la torche, le bruit cesse et progressivement dans ma boîte-four, le rayonnement fait place à la pénombre. A l'aide d'une fourche, je sors ma pièce encore chaude, la dépose sur un marbre où ses couleurs n'apparaissent qu'après complet refroidissement. J'évalue alors le résultat de mon travail. Faut-il aller plus loin, comment aller plus loin? En apportant de l'émail? En gommant les couleurs par sablage? En rehaussant le décor par un ajout d'or?
Funambule de la couleur, je vis alors un moment d'une grande richesse émotive, à la recherche du plus juste équilibre chromatique qui fera d'une pièce en sursis une oeuvre achevée.

Bernard GONNET
Fontaramiel, septembre 2013